Depuis un siècle, la physique tente de réconcilier deux géants qui se regardent en chiens de faïence : la relativité générale et la mécanique quantique. L’une décrit l’univers à grande échelle, planètes, galaxies, espace-temps ; tandis que l’autre s’occupe de l’infiniment petit, particules, atomes, forces fondamentales. Et, entre les deux, un gouffre. Et au fond de ce gouffre, une idée folle : la théorie des cordes.
C’est quoi la théorie des cordes ?
Dans la physique classique, tout est fait de particules ponctuelles, des points sans dimension. La théorie des cordes, elle, dit autre chose : et si ces points étaient en réalité de minuscules cordes vibrantes ?
Chaque mode de vibration correspondrait à une particule différente, un peu comme une corde de guitare peut produire des sons variés selon la manière dont on la pince.
Cette idée, apparue dans les années 1970, avait un objectif ambitieux : unifier toutes les forces de la nature : gravitation, électromagnétisme, interactions nucléaires fortes et faibles… Tout, en une seule équation.
Mais pour fonctionner, la théorie des cordes impose un détail vertigineux : notre univers ne posséderait pas seulement trois dimensions d’espace et une de temps. Il en faudrait… dix, voire onze.
Si ces dimensions existent, pourquoi ne les voit-on pas ? Les physiciens avancent qu’elles seraient compactifiées, repliées sur elles-mêmes à une échelle si minuscule qu’aucun instrument actuel ne peut les détecter. Imaginez une fourmi qui marche sur un fil : pour elle, le fil a deux dimensions (longueur et circonférence). Pour nous, il n’en a qu’une.
Et si nous vivions dans un multivers ?
C’est dans ces dimensions invisibles que la théorie des cordes place la clé de la diversité du cosmos. En changeant la façon dont elles sont enroulées, on obtiendrait des lois physiques différentes. C’est là que surgit une conséquence fascinante : le multivers.
Chaque manière de plier ces dimensions correspondrait à un univers possible. Certains avec une gravité plus forte, d’autres où la lumière voyagerait plus lentement, ou même où la matière telle qu’on la connaît ne pourrait pas exister.
Selon les calculs, il y aurait potentiellement 10⁵⁰⁰ univers différents. De quoi donner le vertige. Dans cette infinité de mondes, le nôtre ne serait qu’un cas particulier, un arrangement localement stable. Ce paysage cosmique a même un nom : le Landscape des cordes. Un espace de possibilités quasi infini, dont chaque point représente une version possible des lois fondamentales de la physique.
Mais la théorie des cordes n’est pas la seule à parler de mondes parallèles. En 1957, Hugh Everett propose une autre vision : l’interprétation des mondes multiples.
Chaque fois qu’un événement quantique se produit, tous les résultats possibles se réalisent, mais dans des univers distincts. Exemple : Vous lisez cet article dans un monde, et dans un autre, vous avez fermé l’onglet.
Cette idée, d’abord jugée absurde, séduit aujourd’hui de plus en plus de physiciens. Notamment parce qu’elle résout un paradoxe majeur de la mécanique quantique : pourquoi un système semble-t-il « choisir » une seule issue lors de la mesure ?
Là où Everett parle de bifurcation des réalités, la théorie des cordes, elle, évoque la coexistence de multiples univers à la base même de la structure cosmique. Deux chemins différents vers la même intuition : la réalité pourrait être plurielle.
La théorie M, qu’est-ce que cela impliquerait ?
Dans les années 1990, Edward Witten a proposé une version étendue de la théorie des cordes : la théorie M. Elle ajoute une 11e dimension et suggère que les cordes ne sont qu’une forme particulière de membranes (branes). Ces branes peuvent être énormes, comme des univers entiers, flottant dans un espace à dimensions multiples.
Certaines hypothèses vont plus loin : notre univers serait une brane, et d’autres branes existeraient parallèlement à nous. Parfois, elles pourraient entrer en collision, créant un Big Bang, une explosion d’énergie qui donnerait naissance à un nouvel univers.
Un modèle appelé ekpyrotique décrit même notre propre Big Bang comme le résultat d’un choc entre deux univers-branes. Autrement dit, la naissance de notre monde serait une conséquence directe d’un événement cosmique survenu… dans un autre univers.
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Une théorie non vérifiable pour l’instant
Aucune de ces théories n’a encore trouvé de confirmation expérimentale. Les cordes, si elles existent, vibreraient à une échelle de 10⁻³⁵ mètre, bien au-delà de nos capacités de mesure.
Mais certaines pistes indirectes sont étudiées : traces de dimensions supplémentaires dans le rayonnement cosmique, mini-trous noirs dans les accélérateurs de particules, ou variations infimes des constantes fondamentales.
Pour l’instant, le multivers reste une conjecture élégante, mais invérifiable. Une théorie belle comme une équation, frustrante comme une porte close. La théorie des cordes a beau se présenter comme mathématique, elle flirte dangereusement avec la métaphysique.
Car si tout est possible quelque part, alors que vaut notre réalité ? Sommes-nous le produit d’un hasard parmi une infinité ? Ou bien un univers choisi, équilibré sur un fil de lois parfaites ? Einstein rêvait d’un monde où « Dieu ne joue pas aux dés ». La théorie des cordes répond, malicieusement : non, il joue peut-être de la guitare.
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