Elle se prétendait fille de l’impératrice Élisabeth de Russie. Elle séduisait les cours européennes avec sa beauté trouble et son aura de mystère. Puis elle disparut dans les profondeurs glacées de la forteresse Pierre-et-Paul. Depuis, on dit que la princesse Tarakanova rôde encore près des eaux de la Neva. Mythe romantique ? Manipulation d’État ? Ou véritable fantôme tragique ?
1. Une princesse sans royaume, mais pas sans ambition…
Tout commence dans les années 1770. Une femme énigmatique circule entre l’Italie, la France et l’Allemagne. Elle se fait appeler princesse Élisabeth-Vladimirskaya, parfois princesse Tarakanova. Selon elle, elle serait la fille secrète de l’impératrice Élisabeth Iʳᵉ de Russie et d’un amant caché, et donc prétendante légitime au trône de Russie.
À l’époque, le pays est dirigé d’une main de fer par Catherine II, dite Catherine la Grande. Cette « usurpatrice« , issue d’un coup d’État et d’une lignée allemande, n’a que mépris pour cette prétendue héritière. Mais la menace est prise au sérieux. La Russie est en guerre contre l’Empire ottoman, et l’ombre d’une insurrection flotte dans l’air.
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2. La disparition de la princesse Tarakanova
Catherine ordonne une mission d’infiltration. L’amiral Alexeï Orlov, fidèle de la tsarine et ancien amant de Catherine, est envoyé à Livourne, en Italie. Objectif : séduire la princesse, la convaincre de fuir avec lui… et la livrer à la marine russe. L’opération réussit.
Tarakanova est enlevée, embarquée de force et enfermée dans la forteresse Pierre-et-Paul, à Saint-Pétersbourg. La suite ? Brumeuse. Officiellement, elle meurt de la tuberculose en décembre 1775, dans sa cellule, sans procès ni sépulture digne de ce nom. Mais autour de sa fin, les légendes s’entrelacent.
3. La légende du fantôme qui hante la Neva
C’est un tableau, peint un siècle plus tard, qui scelle l’image populaire de la princesse : La princesse Tarakanova dans sa cellule pendant l’inondation de 1777, par Konstantin Flavitsky. On y voit une jeune femme, pieds nus, seule, alors que l’eau monte lentement dans sa cellule, prête à l’engloutir.
Problème : l’inondation a eu lieu deux ans après sa mort supposée. Peu importe. Le pouvoir des images dépasse parfois celui des faits. À partir de là, une autre rumeur émerge : la princesse n’est pas morte de maladie, mais noyée délibérément par le régime, ou victime d’une vengeance divine.
Depuis, on dit qu’aux soirs d’orage, une silhouette en robe blanche erre le long des remparts de la forteresse, le visage tourné vers la Neva. Certains gardes, au XIXe siècle, auraient rapporté des visions. Aujourd’hui encore, des visiteurs évoquent des courants glacés inexpliqués, ou des bruits de pas derrière les murs humides du bastion.
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4. Faux fantôme, vraie manipulation ?
Mais qui était réellement la princesse Tarakanova ? Son identité reste floue. Elle serait née entre 1743 et 1745, peut-être en Pologne ou à Londres. Plusieurs chercheurs penchent pour l’hypothèse d’une aventurière, bien renseignée, manipulée par des opposants à Catherine II. D’autres estiment qu’elle aurait pu être la fille illégitime d’Élisabeth, cachée pour des raisons politiques.
La légende fut entretenue, et déformée, par les écrivains romantiques du XIXe siècle. En pleine vague de russophilie, la figure de la belle martyre victime de la tyrannie séduisait. Victor Hugo lui-même mentionne une « Tarakanova » dans ses carnets. Au cinéma, elle est incarnée par Dolores del Río en 1930, puis par Annie Ducaux en 1938.
5. La forteresse Pierre-et-Paul : prison des oubliés ?
La forteresse où elle est morte (ou disparue) reste un lieu chargé. Située sur une île de la Neva, à Saint-Pétersbourg, elle fut la prison des opposants politiques, des nihilistes, des écrivains, des aristocrates en disgrâce. Dostoïevski y a été détenu. Les murs transpirent la mémoire des oubliés.
Aujourd’hui, elle est devenue un site touristique. On y visite les cellules, glaciales même en été. La chapelle, la cour, les grilles rouillées… Mais le nom de Tarakanova ne figure sur aucune plaque. Officiellement, elle n’existe pas. Ou du moins, elle n’a jamais existé.
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