En 1929, lors de la restauration du palais de Topkapı à Istanbul, une découverte inattendue éveille la curiosité des historiens : une carte dessinée sur peau de gazelle, datée de 1513, attribuée à un amiral ottoman du nom de Piri Reis.
Ce fragment cartographique, aujourd’hui célèbre, représente les côtes occidentales de l’Afrique, une partie de l’Europe, et surtout, les contours très détaillés de l’Amérique du Sud. Mais une zone, tout en bas de la carte, intrigue depuis un siècle.
La carte semble montrer les côtes de l’Antarctique, un continent pourtant inconnu à l’époque… et officiellement découvert seulement en 1818. Ce simple fragment va devenir l’un des objets les plus controversés de la cartographie ancienne.
1. Une carte qui montre l’Antarctique bien avant sa découverte officielle ?
Dans ses annotations manuscrites, Piri Reis affirme avoir réalisé cette carte à partir d’une vingtaine de sources : des cartes grecques antiques, des relevés portugais, et même, selon lui, une carte attribuée à Christophe Colomb.
À l’époque, nous sommes quelques années seulement après les premières expéditions en Amérique, et la connaissance du monde est encore fragmentaire.
L’une des zones les plus débattues est la partie sud de la carte, qui semble représenter une terre au sud de l’Amérique du Sud, longeant l’océan Atlantique.
Certains y voient une simple extension du continent sud-américain, mais d’autres affirment que les contours évoquent étrangement ceux de l’Antarctique, et plus précisément la Terre de la Reine Maud, sous la glace. C’est cette hypothèse qui va déclencher une avalanche de théories.
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2. Le savoir cartographique souvent remis en question
Dans les années 1950, l’officier de marine américain A. Mallery compare la carte de Piri Reis aux relevés sonars réalisés récemment par la Navy en Antarctique.
Il remarque des ressemblances troublantes, notamment dans la structure des côtes, ce qui alimente l’idée que la carte montre l’Antarctique sans sa couverture glaciaire, comme si elle datait d’une époque où le continent était encore libre de glace, soit il y a plus de 10 000 ans, selon certaines estimations.
Charles Hapgood, professeur d’histoire à l’université de Springfield, reprend ces idées dans son ouvrage Cartes des Anciens Rois des Mers. Il avance que la carte serait le vestige d’un savoir oublié, transmis à travers les siècles, possiblement hérité d’une civilisation pré-antarctique.
Il évoque même des déplacements des plaques tectoniques massifs ayant englouti des continents, comme celui de la légendaire Atlantide. Son livre, préfacé par Albert Einstein, connaît un grand succès populaire et devient une référence incontournable pour les adeptes d’hypothèses alternatives.
Plus tard, des auteurs comme Rand Flem-Ath ou Colin Wilson prolongent l’interprétation en liant la carte à des théories atlantes ou extraterrestres, allant jusqu’à affirmer qu’elle aurait été conçue à l’aide de technologies aériennes avancées.
Notez que si l’Antarctique a bien été découvert dans les années 1500, voire avant, ce n’est pas la première fois que les études cartographiques et les livres d’histoire « se trompent ». Par exemple, pour la découverte de l’Amérique, des historiens pensent que le continent aurait déjà été découvert par les vikings avant Christophe Colomb.
3. Ce que dit la science pour l’instant
Du côté des chercheurs, la prudence est de mise. Des spécialistes comme Steven Dutch, Gregory C. McIntosh ou Diego Cuoghi ont longuement étudié la carte de Piri Reis.
Pour eux, l’apparente ressemblance avec l’Antarctique est une coïncidence, accentuée par des projections cartographiques hasardeuses. Ils rappellent que la carte ne mentionne ni longitudes, ni pôles, et que la supposée côte antarctique est en réalité une déformation de la côte sud-américaine.
Ils insistent aussi sur un point essentiel : à l’époque, les cartes utilisaient fréquemment des conventions graphiques pour représenter un « continent austral », une Terra Australis Incognita censée équilibrer les masses terrestres connues au nord. Cette vision fictive se retrouve sur d’autres cartes médiévales, comme celle de Mercator.
Les analyses chimiques et datations au carbone 14 confirment l’authenticité du document : la peau de gazelle et l’encre remontent bien au XVIe siècle. L’œuvre de Piri Reis est donc réelle, et exceptionnelle pour son époque. Mais elle ne prouve en rien une connaissance précoce de l’Antarctique, encore moins de sa topographie subglaciaire.
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4. Une carte mystérieuse, mais surtout très importante pour les historiens
La carte de Piri Reis est un témoignage précieux des connaissances géographiques du début du XVIe siècle. Elle montre que l’Empire ottoman, bien qu’éloigné des routes atlantiques, était au fait des découvertes portugaises et espagnoles. Son auteur, Piri Reis, fut un marin chevronné, et ses travaux compilent le meilleur du savoir cartographique de son temps.
Mais les lectures trop littérales, ou trop sensationnalistes, de sa carte ont fini par lui nuire : classée parmi les “OOPArts” (objets archéologiques hors de leur temps), elle est désormais souvent associée à des théories marginales.
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