Auparavant, au Japon, les moines bouddhistes avaient pour coutume de pratiquer le sokushinbutsu. Ils se momifiaient alors qu’ils étaient encore vivants.
Qu’est-ce que le sokushinbutsu ?
Le terme sokushinbutsu désigne une pratique aussi fascinante qu’inquiétante : celle de moines bouddhistes japonais qui, entre le XIe et le XIXe siècle, se faisaient volontairement momifier de leur vivant.
Le but n’était pas de mourir, mais de transcender la condition humaine pour atteindre l’illumination en s’incarnant littéralement en Bouddha. Une forme ultime d’ascèse, menée jusqu’à la dissolution totale de l’ego… et du corps.
Cette auto-momification, aujourd’hui interdite, était pratiquée principalement par des moines de l’école Shingon, fondée au IXe siècle par le moine Kukai. Inspirés par des doctrines venues de Chine et du Tibet, certains religieux ont voulu aller plus loin que la méditation, le jeûne ou la solitude. Ils ont voulu devenir incorruptibles, au sens propre.
Un processus long, éprouvant et macabre
La transformation en sokushinbutsu ne se faisait pas du jour au lendemain. Elle s’étalait sur environ 3000 jours, soit près de 10 ans. Et tout commençait par un régime drastique.
Dans la première phase, le moine adoptait un régime exclusivement composé de graines, racines, écorces et noix, pour réduire sa masse corporelle et se priver de toute graisse.
Il pratiquait une méditation constante, souvent en isolement, tout en maintenant une activité physique suffisante pour éliminer l’humidité de son corps. Cela donnait donc une perte de poids extrême, accompagnée d’un ralentissement progressif de toutes les fonctions vitales.
La deuxième phase était encore plus radicale. Le moine cessait de manger toute nourriture ordinaire et ne buvait plus que des infusions à base d’écorce de l’arbre urushi (Toxicodendron vernicifluum), utilisé aussi pour fabriquer la laque.
Cette sève toxique provoquait vomissements, sueurs, diarrhées… mais surtout, elle empoisonnait lentement le corps, rendant les tissus impropres à la décomposition.
Enfin, venait l’étape ultime : le moine se faisait enterrer vivant, dans un cercueil de pierre à peine plus grand que lui. Il s’installait en position de lotus, muni d’un tube pour respirer et d’une petite cloche.
Chaque jour, il faisait tinter la cloche pour signaler qu’il était encore en vie. Le jour où la cloche ne sonnait plus, les disciples scellaient la tombe. Mille jours plus tard, ils l’ouvraient pour vérifier si la momification avait réussi.
Une minorité couronnée d’un statut divin ?
Très peu de moines atteignaient cet objectif. La plupart se décomposaient comme n’importe quel cadavre. Mais ceux qui parvenaient à conserver leur corps intact devenaient des objets de vénération, considérés comme vivants au-delà de la mort.
On disait d’eux qu’ils étaient entrés en état de nyujo, un état de méditation perpétuelle. Leurs corps étaient exposés dans des temples, souvent habillés de robes de cérémonie et traités comme des reliques vivantes.
Parmi les exemples les plus célèbres, on trouve Shinnyokai Shonin, momifié en 1783, ou Tetsuryukai Shonin, dont le corps est encore visible aujourd’hui dans le temple de Dainichi-Bō, dans la région de Yamagata.
Ces corps ont été régulièrement étudiés, notamment par des chercheurs en anthropologie et en médecine, qui ont confirmé qu’il ne s’agissait pas de momifications artificielles, mais bien de processus internes provoqués par l’ascèse elle-même.
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Le sokushinbutsu, un acte spirituel avant tout
Le sokushinbutsu n’est pas une pratique suicidaire, du moins pas selon ses adeptes. Il s’agissait d’un acte d’abnégation totale, de contrôle absolu du corps et de l’esprit. Une manière de quitter le cycle des réincarnations sans violence apparente, en maîtrisant chaque étape de la déchéance physique.
Mais cette pratique a fini par être interdite au XIXe siècle, durant l’ère Meiji, qui modernisa et laïcisa les institutions religieuses du Japon. L’État considéra cette forme de mort comme un suicide rituel, désormais incompatible avec l’ordre public.
Aujourd’hui, il reste moins d’une trentaine de corps de sokushinbutsu conservés au Japon, tous dans des temples reculés, principalement dans les préfectures de Yamagata et Niigata. Ils continuent d’attirer curieux, fidèles et anthropologues.
Le phénomène du sokushinbutsu a inspiré plusieurs documentaires et articles scientifiques, notamment dans The Japan Times ou sur la NHK, mais aussi dans des œuvres de fiction.
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