En 1978, les autorités soviétiques survolent une zone montagneuse et inhospitalière de Sibérie. Pas un village à l’horizon, pas de route. Rien. Pourtant, ils détectent une activité humaine. À 250 km du moindre signe de civilisation. Quand les géologues posent le pied sur le sol, ils ne s’attendent pas à ça : une famille vit là, totalement coupée du monde, en ermite. Pas depuis quelques mois. Depuis plus de quarante ans. Ce n’est pas un scénario de film post-apo. C’est l’histoire vraie des Lykov. Et ils ne sont pas un cas isolé.
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La famille Lykov : 40 ans en ermite sans aucun contact humain
La scène est presque biblique. Des membres d’une expédition scientifique s’approchent d’un abri en rondins, au milieu de la taïga. Un homme émacié surgit, barbu, les yeux fous, tenant une hache en pierre. Il n’a jamais vu de télé. Il ignore que la Seconde Guerre mondiale a eu lieu. Son monde s’est figé en 1936.
Cet homme, c’est Karp Lykov, un vieux croyant orthodoxe persécuté sous Staline. Avec sa femme et ses enfants, il a fui la répression religieuse pour se réfugier dans les montagnes de l’Altaï. À l’époque, ils emportent quelques outils, des graines de seigle, un peu de sel. C’est tout.
Leur abri devient leur monde. Les enfants naissent sans voir un seul autre être humain. Pas de livres, pas de radio. Pendant des décennies, ils survivent comme au XVIIIe siècle.
Quand les scientifiques les rencontrent, leur langage est hésitant, leur alimentation basée sur des racines, quelques légumes, et beaucoup de prière. Le plus troublant ? Ils ne se plaignent pas, ils ont peur des visiteurs. Ils les appellent « gens de l’extérieur ».
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Fuir la société : choix de survie ou refus du progrès ?
Les Lykov ne sont pas un cas isolé. Aux États-Unis, en France, au Japon, des individus ou familles entières ont fait le choix de tout plaquer pour se retirer dans la nature. Le plus souvent, ils échappent à quelque chose : une guerre, un système, une angoisse existentielle.
En 2004, une femme japonaise est retrouvée dans une grotte de l’île d’Amami, où elle vivait seule depuis des décennies.
En France, le cas de « l’ermite de la forêt de Brocéliande » avait fasciné les médias dans les années 2000 : un homme vivait dans une cabane sans eau ni électricité depuis plus de 15 ans, lisant Platon à la lumière d’une bougie.
Pour ces ermites modernes, le monde contemporain est devenu invivable. Trop rapide, trop technologique, trop violent. La forêt, elle, offre le silence, l’autonomie, la disparition. Un fantasme d’ascèse dans un monde saturé.
Les ermites d’aujourd’hui : solitude choisie, pas solitude subie
La pandémie de COVID-19 a accentué ce phénomène. En 2021, les ventes de manuels de survie explosent. Les recherches Google pour “vivre en autonomie” ou “maison off-grid” grimpent en flèche. Des forums entiers sont dédiés à la fuite volontaire : Reddit, Discord, même TikTok.
Mais il ne s’agit plus seulement de fuir. Beaucoup veulent aussi construire autre chose. Vivre autrement. Échapper à la surveillance, à la dépendance énergétique, à l’hyperconnexion. Certains construisent leur cabane avec des panneaux solaires, récoltent l’eau de pluie, vivent de permaculture.
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Psychologie du repli : entre instinct et philosophie
La tentation de la retraite n’est pas neuve. Déjà dans l’Antiquité, les stoïciens prônaient l’indépendance du monde extérieur. Le moine chrétien ou le sadhu hindou vivaient à l’écart du monde pour mieux le comprendre.
Mais les ermites contemporains ne cherchent pas toujours l’illumination. Certains fuient des traumatismes. D’autres veulent juste être laissés en paix. Le psychiatre américain Carl Jung avait un mot pour ça : le retour à soi. Il expliquait que la modernité, en déséquilibrant notre rythme naturel, engendre un besoin profond de silence. De vide. D’absolu.
Une fascination moderne : quand la solitude devient un mythe
Les médias raffolent de ces histoires. Le New York Times, la BBC, France Culture ont tous produit des dossiers sur les “nouveaux ermites”. On les romantise, on les mythifie. Comme si l’humain moderne projetait sur eux une nostalgie impossible : celle d’un monde lent, simple, authentique.
Mais cette solitude a un prix. Isolement social, fragilité physique, risques sanitaires, dépendance totale à soi. Et le retour est souvent impossible. Beaucoup d’ermites rencontrés par les autorités refusent catégoriquement de revenir à la “vraie vie”.
Les Lykov, par exemple, ont refusé l’aide. L’une des filles, Agafia, vit toujours là-bas, seule, âgée de plus de 70 ans, à plusieurs jours de marche de la première piste. Les rares visiteurs doivent être héliportés.
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