L’idée paraît poétique, presque naïve. Comme une chanson qu’on chantait enfants : « nous sommes tous frères et sœurs ». Mais derrière cette vision un peu utopique se cache une vérité plus profonde, plus troublante aussi. Car oui, d’un point de vue biologique, génétique, anthropologique, nous sommes bel et bien tous cousins. Même très lointains et même si tout nous sépare en apparence.
Sommaire
🧬 Une humanité née d’un minuscule arbre généalogique
Pour comprendre à quel point nous sommes liés, il faut remonter le fil de notre espèce. Homo sapiens, c’est nous. Et nous sommes apparus en Afrique, il y a environ 300 000 ans, selon les dernières découvertes (notamment celles du site de Jebel Irhoud, au Maroc). Pendant très longtemps, notre espèce est restée cantonnée à ce continent. Puis, petit à petit, elle a migré.
Ce grand départ hors d’Afrique ne date que d’il y a environ 70 000 ans. À l’échelle de la Terre, c’est hier. Et surtout, il n’a pas concerné des millions d’individus.
Les généticiens estiment que l’humanité entière descendrait d’une petite population d’environ 1 000 à 10 000 individus maximum, qui auraient survécu à un événement catastrophique (peut-être l’éruption du supervolcan Toba). Ces survivants sont nos ancêtres communs.
Ça pose déjà le décor : nous sommes tous issus d’un goulot d’étranglement génétique, ce qui rend notre diversité bien plus faible qu’on pourrait l’imaginer. Deux chimpanzés pris au hasard sur le continent africain peuvent être plus génétiquement différents que deux humains vivant aux antipodes.
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🧬 Le génome ne ment pas : nous sommes tous cousins
La génétique confirme cette proximité. En moyenne, deux humains partagent 99,9 % de leur ADN. C’est vertigineux quand on pense aux tensions identitaires, aux guerres, aux discriminations raciales. Pour la science, les races humaines n’existent pas biologiquement. C’est une construction sociale, pas un fait naturel.
Le projet Human Genome Diversity Project, lancé dans les années 1990, a permis de cartographier des centaines de groupes humains à travers le monde.
Conclusion ? Toutes les différences qu’on observe (couleur de peau, forme des yeux, stature, etc.) représentent moins de 0,1 % de notre code génétique. Ce sont des adaptations locales, liées à l’environnement, au climat, à l’alimentation. Pas des barrières infranchissables.
Et si on remonte encore plus loin, le constat est encore plus fascinant : nous partageons 98,8 % de notre ADN avec les chimpanzés, et une part non négligeable avec des espèces éteintes comme les Néandertaliens ou les Dénisoviens. Oui, même en Europe, on porte en nous l’empreinte de croisements avec d’autres humanités disparues. On est des patchworks.
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🧬 Le cousinage universel est mathématique
Il y a aussi un autre argument, moins connu mais implacable : les mathématiques du lignage. Si on remonte de 40 générations (environ 1000 ans), on a théoriquement plus d’un trillion d’ancêtres. Ce qui est impossible : il n’y a jamais eu autant d’humains sur Terre.
Cela signifie qu’il y a chevauchement massif, croisements, duplications d’ascendance. En clair, nous avons tous des ancêtres communs à partir d’un certain point.
Selon des modèles développés par le statisticien Joseph Chang (Université Yale), toute personne vivante aujourd’hui aurait au moins un ancêtre commun avec n’importe quel autre humain vivant… il y a seulement 3 000 à 4 000 ans.
Et si l’on pousse encore, les généticiens estiment qu’il y aurait un « ancêtre commun universel » à tous les humains actuels ayant vécu il y a environ 6 000 à 7 000 ans.
Autrement dit : que vous soyez né à Hanoï, à Bamako, à Marseille ou à São Paulo, vous partagez probablement un ancêtre avec n’importe qui d’autre sur cette planète. C’est vertigineux. Et totalement opposé aux récits de pureté, d’isolement, de “lignées”.
🧬 La famille humaine face aux frontières
Si la science est formelle, la réalité sociale, elle, peine à suivre. On continue à parler de “souches”, de “vrais Français”, d’“origines sûres”. Comme si notre héritage génétique pouvait être purifié, identifié, classé. C’est une fiction rassurante, mais fausse. Même les arbres généalogiques les plus anciens s’arrêtent sur des zones d’ombre, des migrations, des mystères.
La génétique ne connaît pas les frontières. Elle ne reconnaît pas la couleur de la peau comme critère de séparation. Et elle raconte une histoire enchevêtrée, celle d’une humanité qui a toujours bougé, échangé, mélangé.
Les grands mouvements migratoires du passé (routes de la soie, invasions, diasporas) sont inscrits en nous. Chacun de nous est le produit d’un monde en mouvement, pas d’une lignée figée.
🧬 Et si on prenait ça au sérieux ?
Dire que nous sommes tous cousins, ce n’est pas un mantra de bisounours. C’est une réalité biologique, calculable, prouvée. Et pourtant, c’est une idée que notre monde peine à intégrer.
Parce qu’elle remet en cause des récits nationaux, des identités fermées, des hiérarchies historiques. Elle rappelle que les frontières sont récentes, fragiles, arbitraires. Et qu’au fond, ce qui nous relie est infiniment plus grand que ce qui nous sépare.
Peut-être qu’il serait temps de réinventer ce que veut dire “appartenir”. Non pas à un sol, à un sang ou à un drapeau. Mais à une espèce commune, diverse, riche de ses différences. Peut-être que le vrai patriotisme, c’est de protéger notre seule patrie réelle : l’humanité.
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