« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : C’est une phrase qu’on ressort souvent, presque machinalement, pour conclure une conversation sur les dérives de la technologie. Une sorte de soupir savant lancé entre deux gorgées de café.
Pourtant, derrière cette sentence de Rabelais, tirée de Pantagruel (1532), se cache une bombe à retardement philosophique. Une alerte, lancée il y a cinq siècles, et qui résonne aujourd’hui avec une force inouïe.
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : le contexte de cette phrase
Quand Rabelais écrit “Science sans conscience n’est que ruine de l’âme”, il ne dénonce pas la science. Il la célèbre, même. Mais il pointe un danger : celui de l’accumulation de savoirs sans boussole éthique, sans direction morale.
L’humanisme de la Renaissance naît dans un monde où l’imprimerie diffuse le savoir à une vitesse nouvelle. Et avec lui, les ambitions grandissent. Le problème serait que l’homme peut apprendre tout… mais sans conscience, il peut aussi tout détruire.
L’intelligence sans sagesse : un cocktail explosif ?
Avançons de quelques siècles. Aujourd’hui, on sait modifier un embryon humain, réanimer un cœur après la mort, modéliser des cerveaux en IA, prédire les comportements via la data. Mais pose-t-on toujours les bonnes questions ? Fait-on preuve de conscience ?
La science a permis Hiroshima. Elle a aussi permis les camps d’euthanasie nazis, justifiés par des “recherches” sur l’eugénisme. Aujourd’hui, elle nous promet des IA génératives, mais elle produit aussi des armes autonomes. Ce n’est pas la science le problème. C’est ce qu’on en fait. C’est l’absence de garde-fous éthiques quand le progrès devient une course.
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IA, biotechnologie, climat : des savoirs sans âme ?
Prenons trois exemples brûlants. L’intelligence artificielle en premier lieu. Elle peut révolutionner l’éducation, la médecine, l’accessibilité. Mais elle peut aussi désinformer, surveiller, licencier. Des modèles sont entraînés sur des œuvres volées, des voix clonées pour des arnaques. Qui contrôle ça ? Des comités d’éthique indépendants ? Non. Des entreprises. Avec des actionnaires.
Le génie génétique, dans un second temps. CRISPR permet de supprimer des maladies. Super. Mais il permet aussi de modifier l’ADN d’un embryon pour choisir la couleur des yeux, l’intelligence, le sexe. Un monde à la Gattaca, pas si lointain. Et pendant ce temps, dans certains pays, des expériences sont déjà menées sans aucun cadre moral clair.
La crise climatique, pour finir. Les sciences environnementales sont claires depuis 50 ans. On sait. Mais on continue. Pourquoi ? Parce que les intérêts économiques, les lobbies, les jeux politiques sont plus forts que la conscience collective. La science crie, mais on l’étouffe.
L’illusion du progrès neutre ?
On aime se dire que “le progrès est neutre”. Faux. La technique n’est jamais neutre. Elle est un levier, elle décuple ce qu’on est déjà. Un scalpel peut sauver… ou tuer. L’imprimerie a diffusé la Bible… et Mein Kampf, finalement. Sans conscience, la science devient une religion froide, une machine qui ne sait plus pourquoi elle avance. Et c’est là que la phrase de Rabelais trouve toute sa puissance : le savoir, sans âme, nous détruit.
Enseigner la conscience : un impératif
Aujourd’hui, les écoles d’ingénieurs, les facultés de sciences, les start-up tech forment à coder, à concevoir, à analyser. Mais combien enseignent à douter ? À questionner l’impact humain, social, écologique de chaque avancée ? Trop peu.
La conscience ne s’enseigne pas comme une formule. Elle se transmet par la philosophie, l’histoire, l’éthique, les débats. Elle demande du temps, du recul, de l’écoute. Autant de choses que notre monde pressé méprise.
L’âme, ça veut dire quoi au juste ?
On pourrait penser que cette histoire d’“âme” est vieillotte. Trop religieuse. Mais ici, l’âme désigne ce qui fait de nous autre chose que des machines de savoir. C’est notre capacité à ressentir, à comprendre ce qui est juste au-delà de ce qui est possible.
L’âme, c’est ce qui nous dit qu’un algorithme peut être performant, mais profondément injuste. C’est ce qui nous pousse à sauver une espèce menacée, non parce qu’elle est utile, mais parce qu’elle a une place. C’est ce qui nous rend humains.
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« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : et donc ?
Il ne s’agit pas d’arrêter la science. Mais de l’accompagner. De la remettre dans un cadre plus large. Celui du sens, celui de la justice, celui de la vie. Créer des comités éthiques indépendants avec un réel pouvoir, par exemple. Ou encore, intégrer l’éthique et la philosophie dans toutes les formations techniques.
Pourquoi pas lier les décisions scientifiques à des débats démocratiques accessibles. Car sinon ? Sinon, on aura des intelligences sans cœur, des machines sans morale, des humains dépossédés de leur humanité.
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