C’est une phrase qu’on balance comme un râle, un soupir de trop-plein devant des étals saturés de contenus tièdes, de séries interchangeables, de refrains déjà entendus. Mais est-ce juste une impression d’intellectuel aigri, ou est-ce qu’on assiste vraiment à l’effondrement d’un pilier fondamental de notre humanité ? La créativité est-elle vraiment en train de mourir ?
Sommaire
L’algorithme, ce nouveau chef d’orchestre
Commençons par le plus visible : la manière dont les plateformes façonnent nos goûts. Netflix, TikTok, YouTube… ces géants numériques dictent aujourd’hui ce qui “fonctionne”. Et ce qui fonctionne, c’est ce qui se répète.
Une idée neuve ? Trop risquée. Une mise en scène originale ? Incompréhensible pour l’algorithme. Ce qu’on demande au créateur moderne, ce n’est plus d’explorer, c’est de performer.
D’après une étude de Nature Communications, les recommandations automatisées tendent à homogénéiser le contenu au détriment de la diversité. Plus tu veux être vu, plus tu dois te plier à une formule. Ainsi, une infinité de contenus qui se ressemblent. Même rythme, mêmes thèmes, même esthétique. L’innovation recule, lentement mais sûrement.
Créer, c’est risquer, et on n’aime plus le risque
Mais l’algorithme n’est pas seul responsable. Il y a aussi ce climat culturel qui rend toute prise de position périlleuse. Dans un monde où chaque mot est archivé, recontextualisé, critiqué en boucle, les créateurs s’autocensurent.
On évite les zones grises, les provocations, les lectures multiples. Mieux vaut plaire à tout le monde que de diviser. Alors on lisse. On édulcore. On produit une création “safe”, qui ne dit pas grand-chose, mais qui ne dérange personne.
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La tyrannie de la production continue
Et puis, il y a ce rythme. Féroce. Inhumain. Produis, publie, recommence. Chaque jour, chaque semaine, une vidéo, une newsletter, un post. Tu ne peux plus disparaître six mois pour créer un truc vraiment différent. L’oubli est immédiat. L’abandon est fatal.
Le public est volatile, l’attention une denrée rare. Alors, on se précipite. On fait vite au lieu de faire bien. On recycle au lieu de penser.
Et là-dessus, les IA enfoncent encore un peu plus le clou. Générer un texte, une image, un son… devient un réflexe. On gagne du temps. Mais on perd quoi ? L’intention, le tâtonnement, le doute fécond. Créer, ce n’est pas juste produire du contenu, c’est plonger dans une matière informe, y chercher un sens.
L’IA ne doute pas, l’IA ne cherche pas. Elle compile. Et nous, trop souvent, on laisse faire. Parce que c’est plus simple, parce que c’est plus rapide, parce qu’on a désappris à attendre.
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L’ennui, ce moteur oublié
Créer demande du vide. Un vide qu’on fuit à tout prix. Notifications, scroll, multitâche permanent… on ne s’autorise plus à ne rien faire. Et pourtant, c’est dans ces moments-là que naissent les meilleures idées.
L’ennui, loin d’être un poison, est un déclencheur.
Une étude de Mann et Cadman, publiée dans Thinking Skills and Creativity, montre que l’ennui pousse notre cerveau à créer pour combler le silence. Mais voilà : en 2025, le silence est devenu une anomalie. Et l’ennui, un luxe que peu peuvent encore se permettre.
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La créativité s’exile
Face à cette machine bien huilée, la vraie créativité n’a pas disparu. Elle s’est déplacée. On la retrouve dans les marges : collectifs indépendants, artistes numériques underground, hackers de médiums. Elle n’est plus mainstream, elle est clandestine. Et, elle ne cherche pas la lumière, elle creuse des tunnels.
Ce n’est pas un hasard si les projets les plus innovants naissent souvent hors des circuits officiels. Ils naissent là où le temps est encore libre, où l’échec est accepté, où l’expérimentation est une fin en soi.
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Créer pour rien, le dernier acte de résistance
Peut-être qu’il faut désapprendre à produire. Réapprendre à créer. Créer sans but, sans public, sans plan marketing. Juste pour tester une forme. Pour chercher ce qu’on a dans le ventre. Pour échouer, recommencer, se contredire.
Ce n’est pas rentable, ce n’est même pas visible. Mais c’est vivant. La créativité n’est pas morte. Elle est simplement partie là où on ne l’écoute plus. Et toi, quand est-ce que tu as fait quelque chose de totalement inutile pour le plaisir de le faire ?
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