“Je suis bipolaire”, ou “j’ai un TDAH non diagnostiqué mais je me reconnais trop », sans oublier “Est-ce que je suis borderline ou juste hypersensible ?” Sur TikTok et Instagram, chaque scroll est une séance de diagnostic sauvage. Les troubles psy et mentaux ne sont plus seulement des réalités cliniques. Ils sont devenus du contenu. Parfois même des marques personnelles.
Et si parler santé mentale est une avancée, la tendance actuelle brouille toutes les frontières : entre le témoignage et la performance, entre l’identification et l’auto-étiquette, entre la parole libérée et… la récupération algorithmique.
NB : comme d’habitude, je vous mets des vidéos dans l’article pour aller plus loin dans la réflexion (que je ne suis pas la seule à avoir eu).
Sommaire
1. Une génération qui veut comprendre… et exister
Il faut commencer par là : il ne s’agit pas d’un caprice. La génération Z (et les milléniaux juste avant) grandit dans un monde instable, anxiogène, fragmenté. 1 jeune sur 3 présente des signes de détresse psychologique en France, selon l’Inserm.
Le recours aux consultations psy a explosé de 40 % entre 2019 et 2023 chez les 18-30 ans, d’après la Drees.
Dans ce contexte, mettre un mot sur ce qu’on ressent est vital. Et les réseaux sociaux deviennent le cabinet de psy de ceux qui n’en ont pas.
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2. Les troubles mentaux sur les réseaux : le symptôme comme contenu
Sur TikTok, les vidéos taguées #TDAH, #Borderline ou #Autisme cumulent des milliards de vues. Certaines sont utiles, éducatives, déculpabilisantes. Mais beaucoup flirtent avec le trop : Des diagnostics en 30 secondes façon quiz, mais aussi des sketchs qui tournent la dépression ou les troubles dissociatifs en gimmicks, ou bien des “symptômes” listés comme on choisirait une maison sur Airbnb.
Le trouble mental devient un objet visuel. Un moyen de se démarquer. Et parfois même : un label identitaire.
3. Diagnostiquer sans médecin : c’est non !
Oui, beaucoup de personnes n’ont pas accès à un psy. Ou ont été ignorées, sous-diagnostiquées, minimisées. Et oui, l’auto-identification et l’auto-diagnostic peut être une première étape vers la compréhension.
Mais là où ça coince, c’est quand l’identification remplace le diagnostic. Quand on se dit “bipolaire” parce qu’on a des sautes d’humeur. “Autiste” parce qu’on n’aime pas le bruit. “TDAH” parce qu’on oublie ses clés.
Et surtout : quand on refuse tout questionnement, toute nuance, au nom de la légitimité personnelle.
On entre alors dans une logique de performativité : on incarne son trouble, on l’alimente, on l’expose. Et certains en font un levier d’engagement, voire de monétisation.
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4. Algorithmes et dopamine : une machine qui encourage la sur-identification
TikTok, Instagram, YouTube Shorts : ces plateformes sont calibrées pour favoriser le contenu qui génère de l’engagement émotionnel. Cependant, quoi de plus engageant qu’une vidéo où quelqu’un « te décrit exactement » ? Le fameux effet Barnum.
Les algorithmes amplifient ce qu’on regarde, même par curiosité. Tu cliques sur un contenu TDAH ? Tu reçois dix vidéos similaires. Puis vingt. Puis cinquante. À la fin, tu te dis : “Mais… et si j’avais ça moi aussi ?” Et le doute devient conviction. La conviction devient discours. Le discours devient identité.
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5. Les troubles mentaux sur les réseaux, le risque d’un nouveau stigmate inversé
Ce phénomène n’est pas sans conséquences. Les professionnels sont débordés par des patients arrivant avec des diagnostics TikTok. D’un autre côté, les vraies souffrances sont noyées dans un flux de contenus esthétisés. Et, les pathologies lourdes deviennent des tendances, puis des blagues.
Et le pire ? C’est que ceux qui vivent vraiment avec un trouble psychiatrique n’osent parfois plus en parler, de peur de “faire genre”. On passe d’un tabou à un discrédit. Et ça, c’est un retour en arrière.
Il ne s’agit pas de nier l’utilité des réseaux pour briser le silence. Mais il est temps de rétablir une frontière claire entre témoignage sincère et identité à la carte. Parce que non, les troubles mentaux ne sont pas une esthétique. Ni un filtre de story. Ni une signature de bio. Ils sont profonds, complexes, douloureux. Et méritent mieux que des carrousels.
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