Cheveux tirés. Peau glowy. Lèvres glossées. Cils brossés. Ongles nude. Pas un pore de travers. La clean girl ne crie pas. Elle brille, discrètement, comme Hailey Bieber qui fait faussement aucun effort pour être belle et qui a popularisé cette esthétique du clean girl sur les réseaux.
C’est le nouveau visage de la féminité sur TikTok et Instagram. L’héritière minimaliste de la girlboss et de la VSCO girl. Mais plus douce. Plus lisse. Et surtout, plus conforme.
Derrière l’esthétique épurée se cache une norme. Derrière la « simplicité », une discipline. Et derrière ce que beaucoup présentent comme une « routine bien-être », il y a tout un système de contrôle de soi, de son corps et de son image. Et, comme d’habitude, je vous mets des vidéos sur le sujet dans l’article.
Sommaire
1. C’est quoi, être une clean girl ?
Visuellement, on la reconnaît avec ses cheveux plaqués ou coiffés façon bun structuré, avec son teint lumineux, sans fond de teint apparent, mais aussi avec ses bijoux fins, habits neutres, camaïeux beige/ivoire.
Elle a souvent un café glacé dans une main, une skincare de 12 étapes dans l’autre Et toujours, ce ton feutré, cette mise en scène de la santé mentale réglée, de la productivité douce, du corps “bien dans sa peau”.
Sur TikTok, le hashtag #cleangirlaesthetic cumule plus de 4 milliards de vues.
Des vidéos de « morning routines« , de « get ready with me », de journaling, de tenues neutres, de smoothie bowls à la banane parfaitement découpée. Bref, le lifestyle visuel de la fille qui a sa vie en ordre. Mais c’est quoi, l’ordre, ici ?
2. Minimalisme… mais avec un filtre Sephora
La clean girl prône le naturel. Mais c’est un naturel filtré, codifié, extrêmement exigeant. Mais, on ne parle pas de s’aimer avec des boutons ou des cernes. On parle de « no-makeup makeup« , c’est-à-dire du maquillage qui coûte une blinde pour donner l’illusion qu’on ne porte rien.
On parle de minimalisme qui suppose : des soins de peau de marque, une garde-robe capsule ultra calibrée, un appartement lumineux, blanc, végétalisé, hors de prix. Ce n’est pas une esthétique simple. C’est une esthétique coûteuse, classiste et chronophage.
Et c’est aussi censé être un mode de vie. La clean girl est intimement liée à l’esthétique de « the girl », soit la fille simple, mais unique, intelligence, le premier rôle du film. Sauf qu’au lieu d’être vraiment cette fille, sur les réseaux, on joue à être cette fille.
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3. L’hygiène comme métaphore morale
Le mot « clean » n’est pas anodin. Il renvoie à la propreté, mais aussi à la valeur morale. On n’est pas juste bien coiffée : on est « clean ». Traduction implicite : les autres sont… « messy ». Sales. Désorganisées. Trop. Pas assez. Hors des clous.
Et là, on glisse doucement vers une injonction insidieuse : être discrète, ordonnée, productive, propre, saine. Pas trop maquillée. Mais pas trop brute non plus. Pas trop mince. Mais pas grosse. Pas trop sexy. Mais pas négligée. Une perfection douce. Mais une perfection quand même.
4. Une esthétique profondément normée (et excluante)
Pour être honnête, il faut dire que la « clean girl » a un certain profil. Du moins, en général. Blanche (ou “white-passing”). Mince. Jeune. Avec les moyens de s’acheter sa crème Drunk Elephant à 70 euros. Ce n’est pas une esthétique universelle. C’est une esthétique de classe, ethnique et d’âge.
Même quand elle est reprise par des créatrices racisées, la tendance impose les mêmes codes : neutralité, clarté, discipline, invisibilisation de tout ce qui déborde. Et ça pose une vraie question :
à quoi renonce-t-on pour être perçue comme “clean” ? Et qui a vraiment les moyens, matériels ou psychiques, de s’y conformer ?
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5. Clean girl ou safe girl ?
Ce que cette tendance vend, au fond, c’est une image de féminité non menaçante. La clean girl ne fait pas de vague. Elle ne prend pas de place, elle ne revendique rien, elle est “présentable”, “douce”, “équilibrée”, elle rassure, mais elle reste l’héroïne que tout le monde veut comme amie.
Et à une époque où tout est suranalysé, où chaque opinion féministe est taxée d’agressivité,
la clean girl offre une réponse : une fille sage, maîtrisée, “safe”. Mais à force de vouloir rassurer, on finit par s’effacer. Et là, ça devient problématique. Et c’est aussi qu’on retrouve dans d’autres esthétiques comme le old money, le trad wife ou encore le that girl.
En fait, la clean girl est peut-être une réaction à l’ère de l’excès. Mais c’est aussi un masque. Un corset esthétique, rembourré de privilèges et de normes invisibles. Sous ses airs inoffensifs, elle perpétue une idée très ancienne : la femme idéale est celle qui prend soin… et qui se tait. Aujourd’hui, elle met du gloss. Avant, elle mettait un corset. C’est la même logique. Elle s’applique, elle s’efface, elle ne dérange pas.
Alors non, s’aimer et prendre soin de soi n’a rien de honteux. Mais quand le soin devient performance, et que l’esthétique remplace le fond… On n’est plus dans le self-care. On est dans la stratégie sociale.
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