En France, le marché du travail repose sur une distinction nette entre les salariés et les travailleurs indépendants. Pourtant, cette frontière n’est pas toujours respectée. Le phénomène du salariat déguisé, soit lorsqu’un travailleur indépendant, un stagiaire ou un volontaire en service civique est en réalité traité comme un salarié sans bénéficier des droits correspondants, soulève de nombreuses questions juridiques et sociales.
Sommaire
1. Qu’est-ce que le salariat déguisé ?
Le salariat déguisé désigne une situation dans laquelle une personne est officiellement déclarée comme indépendante, stagiaire ou volontaire, mais exerce ses missions dans des conditions qui relèvent du salariat classique.
En droit français, on retient trois critères pour caractériser une relation de travail salariée : Un lien de subordination (le travailleur reçoit des ordres, il peut avoir des horaires, doit rendre des comptes, poser des congés et ne décide pas de ses méthodes de travail), une prestation de travail (une activité réalisée au profit d’une autre personne) et une rémunération (un paiement en contrepartie du travail, direct ou indirect).
Dès lors que ces trois éléments sont réunis, un contrat de travail salarié doit exister (par exemple CDI, CDD, CDDI), quelle que soit l’appellation donnée. Sauf que, parfois, ces trois éléments sont réunis sans que la personne soit salariée, par exemple en étant autoentrepreneur, en stage ou encore en service civique.
2. Le cas des autoentrepreneurs en salariat déguisé
Le statut d’autoentrepreneur a été créé pour faciliter l’entrepreneuriat individuel. Mais, il est souvent détourné par des entreprises qui cherchent à réduire leurs charges sociales.
Dans certains secteurs (notamment la livraison, le bâtiment ou le numérique) des travailleurs sont enregistrés comme indépendants, mais travaillent exclusivement pour une seule entreprise (ont donc un seul client, ce qui augmente l’insécurité), avec des horaires imposés et un contrôle strict de leurs missions.
La Cour de cassation a déjà requalifié plusieurs contrats de plateformes (comme Uber ou Deliveroo) en contrats de travail, au motif que les chauffeurs et livreurs étaient soumis à un véritable lien de subordination. Dans ces cas, l’entreprise peut être condamnée à verser des salaires, cotisations sociales et indemnités.
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3. Les stagiaires, souvent engagés comme des salariés
Le stage est censé être une période de formation, destinée à compléter un cursus d’études. La loi française impose que le stagiaire bénéficie d’une convention de stage, d’un tuteur, et que les missions soient en lien avec son parcours pédagogique.
Or, certaines entreprises utilisent des stagiaires comme une main-d’œuvre bon marché, en leur confiant des tâches permanentes, sans réel suivi pédagogique. Si le stagiaire occupe en réalité un poste de travail normal, il y a risque de requalification en contrat de travail.
Certains stagiaires sont engagés pour remplacer des salariés et parfois simplement pour occuper des postes importants, primordiaux dans l’entreprise, mais permettant donc au tuteur de le payer à très moindre coût (si le stage dure plus de 2 mois).
4. Service civique : quand l’engagement devient un emploi masqué
Le service civique, destiné aux jeunes de 16 à 25 ans (30 ans en situation de handicap), est une mission d’intérêt général, indemnisée environ 619 euros par mois. Il ne doit pas remplacer un emploi salarié et ne peut pas concerner des tâches purement économiques ou productives.
Pourtant, certaines structures abusent du dispositif : des volontaires se retrouvent à occuper des postes pérennes (accueil, administratif, animation), avec des horaires fixes et des responsabilités équivalentes à celles de salariés. Là encore, la justice peut requalifier la mission en contrat de travail si les conditions révèlent un emploi déguisé.
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5. Que faire en cas de salariat déguisé ?
Si vous pensez être victime de salariat déguisé, plusieurs recours existent. Premièrement, vous pourriez d’abord confronter l’entreprise en question pour régler la chose à l’amiable.
Si cela ne fonctionne pas (ou pire que vous êtes renvoyé), vous pouvez alors saisir le conseil de prud’hommes pour demander la requalification en contrat de travail. Il est aussi possible de contacter l’Inspection du travail, qui peut enquêter et sanctionner l’employeur.
Enfin, vous pouvez aussi demander un rappel de salaires et d’indemnités (congés payés, heures supplémentaires, cotisations sociales). Notez que les sanctions pour l’entreprise peuvent être lourdes : redressements URSSAF, amendes, voire des poursuites pour travail dissimulé.
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