Tu sens quand quelque chose a changé. L’info, aujourd’hui, elle ne s’écoute plus, elle s’avale. Comme un fast-food mental. On veut du court, du choc, du tout de suite. Les mots ? Ils passent après. La vérité ? Plus tard. Ce n’est pas que le journalisme est mort. C’est qu’il a été vidé de l’intérieur. Lentement. Silencieusement. Par ceux-là mêmes qui prétendent encore le servir.
Sommaire
Le journalisme : À toute vitesse, même dans le mur
Ce qui compte désormais, c’est d’avoir l’info en premier. Pas de l’avoir juste, pas de l’avoir bien racontée. Juste d’avoir publié. Des dépêches AFP retapées à la chaîne, des articles dont la seule originalité est la tournure du titre. Les rédactions ne s’affrontent plus à coups d’enquêtes, mais à coups de secondes.
Le journalisme est entré dans l’ère TikTok. Celle du zapping permanent. Tu n’as que trois secondes pour capter l’attention, et moins d’une minute pour la garder. Alors, tu balances. Tu balances vite, tu balances sans avoir vérifié, quitte à faire des erreurs par souci de rentabilité.
Copier, c’est gagner ?
L’autre grande plaie, c’est la reprise d’info. Plus de 60 % des articles en ligne sont de simples recyclages de contenus préexistants. La logique est simple : plutôt que d’envoyer un journaliste sur le terrain, on prend ce qu’a déjà dit un confrère. On reformule. Et on publie.
Pendant ce temps, les lecteurs, eux, lisent la même info sur dix sites différents, persuadés de consommer du pluralisme. La vérité, c’est qu’ils consomment une copie de copie.
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Le fond n’intéresse plus grand monde (en majorité)
Ce qu’on appelle “information” ressemble souvent à un patchwork de tweets, d’avis non sourcés et de paragraphes torchés à la va-vite. Les formats longs, les vraies enquêtes, les analyses approfondies et les sujets jamais présentés sous un angle nouveau ? Trop coûteux. Pas assez clickbait.
Le public, saturé de contenus, réclame du facile à digérer. On veut comprendre vite. Et si possible sans réfléchir. C’est ainsi qu’on a troqué l’analyse pour des infographies. Le débat pour des vidéos de 90 secondes. Le terrain pour l’IA.
Et pourtant, il reste des résistants
Heureusement, tout n’est pas à jeter. Il reste des journalistes. De vrais journalistes. Ceux qui creusent, qui recoupent, qui prennent leur temps. Des médias comme Mediapart ou StreetPress, par exemple, qui rappellent que le journalisme peut encore avoir du panache.
Élise Lucet, dans un podcast avec McFly & Carlito, le disait très bien, que toutes les infos peuvent attendre deux jours. Cette phrase, à elle seule, est une gifle à l’instantané. Une manière de dire que l’urgence est une illusion. Et que la vérification, elle, n’a pas de raccourci.
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Ce que la rapidité dans le journalisme détruit
Derrière cette vitesse, il y a des conséquences bien réelles. Des erreurs qui circulent plus vite que les corrections. Et, des “fake news” involontaires reprises par des millions de lecteurs. Des buzz montés sur du vide.
Mais surtout, il y a un effondrement de la confiance. Comment croire un média qui rectifie une info 48 h plus tard en bas de page, quand celle-ci a déjà été lue 100 000 fois ? La responsabilité journalistique ne se limite pas à éviter les procès. Elle consiste à produire du savoir, pas du bruit.
La responsabilité du public aussi
On adore accuser les journalistes. Parfois à raison. Mais la déchéance de l’info, c’est aussi celle de la demande. Si on clique plus sur les clashs que sur les enquêtes, on nourrit le système. Si on partage des titres sans lire les articles, on alimente l’algorithme. Et si on exige tout gratuitement, on condamne les médias indépendants à mourir. On a le journalisme qu’on finance. Et souvent, qu’on mérite.
Le journalisme n’est pas mort, il a été piraté
Le mot est fort, mais juste. Pirater, c’est détourner un outil noble pour le faire servir à une logique toxique. Aujourd’hui, l’information est monétisée comme n’importe quel contenu viral. Elle est “optimisée” pour le clic, pas pour la compréhension.
Mais tout n’est pas foutu. L’info de qualité existe. Elle coûte du temps. Parfois de l’argent. Souvent de l’effort. Et c’est précisément ce qui la rend précieuse.
Alors non, le journalisme n’est pas mort. Il est juste en train de lutter pour sa survie, étranglé entre la dictature de l’instant et la paresse des algorithmes. La vraie question, ce n’est pas “le journalisme est-il mort ?”. C’est : est-ce qu’on est encore prêts à faire ce qu’il faut pour qu’il vive ?
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