L’anxiété est devenue la nouvelle compagne silencieuse de toute une génération. Chez les 18-30 ans, elle n’est plus un simple passage à vide : elle s’installe, s’impose et parfois paralyse. Derrière les sourires sur Instagram et les réussites scolaires, un mal-être profond s’enracine, et les chiffres le confirment. Selon Santé publique France, plus d’un jeune adulte sur trois présente aujourd’hui des symptômes d’anxiété, contre à peine un sur cinq il y a dix ans.
Alors que la France affronte un tournant sociétal majeur, cette montée du trouble interroge. Comment une génération aussi connectée, éduquée et ouverte sur le monde peut-elle se sentir à ce point vulnérable ?
Sommaire
Un malaise chiffré, une génération sous tension
Les données officielles dressent un constat sans appel : la santé mentale des jeunes Français se dégrade à un rythme inédit. En 2021, le baromètre de Santé publique France indiquait que 12,5 % des adultes souffraient d’un trouble anxieux, mais cette moyenne masque une disparité frappante. En effet, la proportion grimpe à plus de 40 % chez les 18-24 ans, selon une étude Ipsos réalisée après la pandémie.
Dans la région Île-de-France, une enquête menée en 2023 révélait que 68 % des jeunes adultes disaient ressentir de l’anxiété au quotidien. Un sur dix présentant même une forme sévère.
Les experts parlent d’une « épidémie silencieuse ». Les urgences psychiatriques universitaires constatent une explosion des consultations.
Les services de santé étudiante, quant à eux, tirent la sonnette d’alarme : les demandes de rendez-vous pour troubles anxieux ou crises de panique ont doublé depuis 2020.
Les associations étudiantes rapportent également un phénomène nouveau. Des étudiants brillants, intégrés, se sentent incapables de faire face à la pression de la vie quotidienne.
L’anxiété n’est plus un symptôme isolé ; elle devient un mode de fonctionnement collectif.

Une jeunesse en transition permanente
Comprendre cette hausse nécessite de plonger dans le quotidien de cette génération. L’âge des 18-30 ans est celui des transitions. Quitter le cocon familial, affronter le monde du travail, construire une vie affective, trouver sa place dans la société, etc.
Transition vers l’âge adulte et incertitude
La période 18-30 ans correspond à des transitions majeures : fin des études, entrée sur le marché du travail, premières vies de couple ou indépendance financière. Ces bouleversements génèrent une incertitude accrue : quel métier ? Quelle stabilité ? Quel logement ? Quelle identité ? Cette incertitude contribue fortement à l’anxiété. L’avenir paraît flou, peu maîtrisable, et la projection dans le temps se fragilise.
Pressions économiques et sociales
Les jeunes adultes subissent des pressions économiques importantes : précarité de l’emploi, stage ou temps partiel, loyers élevés, retards de vie « classique ». L’enquête de la Fondation de France indique que « chez les jeunes générations, le constat est plus alarmant encore. En 2021, 40 % des 18-24 ans souffrent de troubles de l’anxiété généralisée ». Cette précarité est un terreau fertile pour l’anxiété, car elle instaure un sentiment de vulnérabilité et d’impuissance.

Impact de la crise sanitaire (Covid-19) et isolement
Difficile de parler d’anxiété sans évoquer la pandémie de Covid-19. Pour les 18-30 ans, elle a constitué un traumatisme générationnel. En plein âge des expériences, ils se sont retrouvés confinés, isolés, privés de sociabilité et de perspectives. Les études à distance ont brouillé les repères, les stages se sont annulés, les projets ont été suspendus. Ce vide a laissé des traces : peur du futur, perte de confiance, et sentiment d’impuissance face à un monde qui échappe au contrôle.
Tous ces éléments ont amplifié le sentiment d’insécurité, renforcé l’anxiété et réduit les ressources de soutien (entourage, étudiants, job). Le rapport du Sénat fait état d’un « État des lieux de la santé mentale depuis la crise du Covid-19 ». Ces expériences traumatiques ou perturbantes pèsent toujours, notamment pour les 18-30 ans qui construisent encore leur trajectoire.
Surcharge informationnelle, réseaux sociaux et comparaisons
Les jeunes adultes sont hyperconnectés, exposés à un flot constant d’informations. Actualités anxiogènes, crises multiples, catastrophes climatiques, etc. Ils utilisent massivement les réseaux sociaux. Cette exposition favorise l’anxiété en alimentant la peur de manquer, de ne pas être à la hauteur, de ne pas réussir, de rester « hors course ». L’« éco-anxiété » (anxiété liée aux menaces environnementales) en est une illustration.
Manque de repères et de soutien psychologique
Même si les signes sont forts, les jeunes adultes sont parfois mal équipés pour les repérer ou demander de l’aide. Le sondage IPSOS indiquait que seuls 46 % des jeunes estimaient être bien informés sur les maladies mentales, 40 % sur les facteurs de risque. Le manque de repères, de soutien et de suivi rend l’anxiété plus difficile à gérer.
Une société qui produit de l’anxiété
Il serait trop simpliste d’expliquer la montée de l’anxiété uniquement par des causes individuelles. Les psychologues insistent : c’est la société elle-même qui devient anxiogène. Nous vivons dans un environnement saturé de signaux d’alerte : alertes sanitaires, alertes météo, notifications d’actualité. L’attention est fragmentée, la charge mentale augmente, le temps libre se réduit.
Nos cerveaux, constamment sollicités, peinent à faire le tri. Cette surcharge cognitive, ajoutée à l’hyperconnexion, épuise les systèmes de régulation du stress. Les jeunes adultes, nés avec le smartphone, sont les premiers à en payer le prix. L’anxiété devient alors non plus une anomalie, mais une réponse normale à un environnement anormal.

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Des multiples symptômes, mais souvent invisibles
Contrairement à la dépression, plus identifiable, l’anxiété se cache. Elle se manifeste par des palpitations, des insomnies, des ruminations, des nausées avant un examen, un entretien, un rendez-vous. Chez certains, elle prend la forme d’une fatigue inexpliquée. Chez d’autres, de crises de panique ou d’évitement social.
Le plus troublant est sa banalisation. Beaucoup de jeunes parlent de « stress » ou de « pression » sans réaliser qu’ils décrivent en réalité des troubles anxieux. Cette confusion empêche le diagnostic et retarde la prise en charge. Pourtant, plus l’anxiété s’installe, plus elle devient chronique. Selon l’Assurance Maladie, un trouble anxieux non traité double le risque de dépression dans les deux ans.
Des pistes pour reprendre le contrôle
Malgré ce tableau sombre, il serait faux de croire que rien n’est possible. Des leviers existent, individuels et collectifs.
Le premier pas consiste à nommer l’anxiété. En parler, la reconnaître, l’assumer comme une émotion normale, non comme une faiblesse. Les jeunes générations sont d’ailleurs plus ouvertes à la santé mentale que leurs aînés. Elles consultent davantage, s’informent, échangent sur les réseaux. Cette « démocratisation du soin psychique » est déjà un progrès majeur.
Néanmoins, la prévention reste insuffisante. À l’université, seuls 30 % des étudiants connaissent l’existence des services de soutien psychologique. Ainsi, il faudrait systématiser les campagnes d’information, former les enseignants, repérer les signes précoces.
En outre, dans le monde du travail, les entreprises peuvent aussi jouer un rôle en créant des environnements moins anxiogènes. À ne mentionner que des horaires plus flexibles, un management bienveillant et un bon équilibre de vie pro-perso.
Sur le plan personnel, certaines habitudes peuvent réduire l’anxiété :
- Limiter la surexposition aux écrans,
- Instaurer des temps de repos réels,
- Pratiquer une activité physique régulière,
- Méditer ;
- Ou simplement dormir suffisamment.

Vers une nouvelle culture de la sérénité
À plus long terme, la société doit repenser son rapport à la réussite. Tant que la valeur d’un individu se mesurera à sa productivité ou à son apparence, l’anxiété restera endémique. Il faut redonner du sens au mot « équilibre » : équilibre entre ambition et repos, entre performance et plaisir, entre collectif et individuel.
Certains signes sont encourageants. Le mouvement du « slow life », le retour à la nature, la quête d’authenticité montrent une aspiration nouvelle à la simplicité. Les jeunes adultes ne veulent plus « tout avoir » ; ils cherchent à « être bien ». Ce changement culturel, encore minoritaire, pourrait devenir une antidote durable à l’anxiété.
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Une génération lucide, mais encore vulnérable ?
La montée de l’anxiété chez les 18-30 ans n’est pas une faiblesse : c’est le symptôme d’un monde qui change plus vite que les repères humains. Cette génération est lucide, informée, consciente des crises, mais parfois submergée par elles. Elle paie le prix d’une hyperconnexion permanente, d’une pression de performance et d’une société en mutation.
Pourtant, elle possède aussi des ressources inédites. Une capacité d’adaptation, une sensibilité accrue aux enjeux sociaux, et une volonté de parler de ce que les générations précédentes taisaient. L’avenir se construira peut-être moins dans la compétition que dans la compréhension. Reconnaître l’anxiété, ce n’est pas s’y résigner. C’est choisir de l’apprivoiser, de la transformer en vigilance, en créativité, en moteur d’évolution.
Si cette génération parvient à faire de son anxiété non plus un fardeau, mais un signal de conscience, alors elle aura transformé le mal-être en maturité. Et c’est peut-être là, dans cette lucidité, que se joue l’avenir du bien-être collectif.
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