Dès 2015, le Sénat faisait paraître un rapport qui stipulait que « l’Europe et la France ne pouvaient pas se permettre d’être absentes d’un certain nombre de technologies critiques : intelligence artificielle, calcul quantique, blockchain, semi-conducteurs… ». Dès lors, la question suivante se pose : comment construire une souveraineté numérique à la hauteur de ces enjeux et faire émerger de véritables champions français de l’IA ?
Pour discuter de ces sujets, nous avons interrogé Mouna Sepehri, dirigeante et fondatrice de Orson, un cabinet de conseil qui accompagne les dirigeants en développant une approche renforcée par l’intelligence artificielle.
Sommaire
Comment définiriez-vous notre époque où les crises semblent se succéder sans discontinuer ?
Mouna Sepehri : Nous nous trouvons dans un monde en proie à de multiples bouleversement. Des analystes de l’armée américaine le qualifiait déjà dès les année 80 de « monde VUCA » pour « volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté ». Il me semble que cet acronyme caractérise bien notre époque. A ce titre, la crise sanitaire de 2019 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie sont autant de ruptures historiques qui ont bouleversé en profondeur nos sociétés et nos mentalités. Si les crises se multiplient, c’est que notre monde est imprévisible. Son symptôme par excellence est la défiance, à laquelle tous les décideurs doivent faire face.
Face à ces défis, quel rôle doit jouer souveraineté technologique ?
MS : Ces dernières années, les circonstances nous ont démontré que technologie et souveraineté sont désormais indissociables. Le rôle de la souveraineté technologique est central pour répondre aux grands enjeux de notre époque, notamment en ce qui concerne les secteurs de la biotechnologie et de la défense. La France construit progressivement un cadre souverain allant dans ce sens, et ce travail passe notamment par l’élaboration de cadres réglementaires favorisant l’innovation ainsi que par la multiplication de programmes d’investissements stratégiques. Pour ce faire, il est crucial de faire plus pour nos startups afin de rester à la pointe de l’innovation et de conserver nos talents sur les sols nationaux et européen.
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D’après vous, comment faut-il situer la question de la souveraineté au regard de l’intelligence artificielle ?
MS : La souveraineté numérique occupe une fonction stratégique qui doit permettre aux nations d’encadrer les développements en matière d’l’IA afin qu’ils soient alignés avec leurs valeurs et intérêts. Cela étant dit, il est tout aussi important de ne pas faire preuve d’isolationnisme technologique en favorisant un cadre législatif équilibré et qui encourage l’innovation, tout en fournissant des garanties en matière d’éthique et de protection des données. Pour ce faire, il convient de mettre en place une véritable collaboration entre les secteurs public et privé dans le but de concilier, à travers une régulation éclairée, innovation et responsabilité.
Quels sont les risques que doit prévenir la souveraineté technologique ?
MS : L’un des principaux risques est celui de la dépendance technologique. Si un pays comme la France ne construit pas sa souveraineté technologique dans des domaines stratégiques comme l’IA ou les semi-conducteurs, le risque de développer une dépendance à l’endroit d’autres pays est particulièrement fort. C’est pour cette raison qu’il est primordial de favoriser le développement de solutions technologiques à minima européennes en ce qui concerne les technologies de pointe.
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Quels enjeux stratégiques l’IA mobilise-t-elle ?
MS : En tant que moteur de l’innovation, l’IA est un facteur majeur de compétitivité. L’intelligence artificielle permet ainsi de dynamiser des secteurs clés tels que la santé, l’énergie et la finance. En effet, les Etats ont plus que jamais intérêt à exploiter les capacités prédictive et analytique de l’IA afin de maintenir leurs capacités à la hauteur des nouveaux standards techniques tout en développant en parallèle de nouvelles solutions.
Par ailleurs, l’IA joue évidemment un rôle crucial dans la sécurité nationale en permettant notamment d’accroître substantiellement les outils de détections des menaces. Cependant, si ce saut qualitatif est à saluer, il convient là encore de parvenir à un équilibre entre responsabilité et sécurité en développant de nouveaux cadres réglementaires adaptés à ces nouveaux dispositifs techniques.
De quels moyens notables se dote la France pour faire face à ce défi majeur ?
MS : Le gouvernement français a prévu un budget de 2,2 milliards d’euros pour soutenir l’intelligence artificielle sur les cinq prochaines années. Ce budget comprend 1,5 milliard d’euros de financements publics et 506 millions d’euros de cofinancements privés. Un appel à projets a également été lancé pour disposer d’au moins trois établissements français parmi les 50 meilleures universités du monde en matière d’intelligence artificielle.
Par ailleurs, la puissance du supercalculateur français Jean Zay sera augmentée pour aider au développement de l’IA, et, d’ici à 2025, un nouveau calculateur, appelé Exascale, décuplera la puissance de calcul actuellement disponible.
Finalement, un nouveau programme, appelé « IA Booster France 2030 » a été lancé pour aider les PME et ETI françaises à utiliser l’IA. Ce programme, qui cible les entreprises ayant entre 10 et 2 000 employés et un chiffre d’affaires supérieur à 250 000 euros, sera financé par l’Etat.
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Quelles sont les stratégies pour construire une souveraineté numérique à l’ère de l’IA ?
MS : Plusieurs pays et l’Union européenne ont reconnu l’importance de l’IA et mis en place des politiques publiques visant à soutenir son développement. Outre ces investissements directs, des initiatives d’écosystèmes sont lancées par certains Etats. La France a ainsi lancé le réseau AI for Humanity qui vise à rassembler chercheurs, entrepreneurs et décideurs politiques afin de discuter des défis et des opportunités de l’IA. L’Union européenne a lancé, dans le même objectif, Alliance AI, une plateforme multipartite pour le dialogue sur l’IA.
L’autre piste à privilégier pour renforcer la souveraineté numérique en matière d’IA est de promouvoir le développement d’une IA éthique et transparente. Là encore, c’est au niveau réglementaire que pourraient être proposées des normes éthiques pour l’IA, tout comme des mécanismes qui garantiraient une IA transparente. A ce titre, la coopération internationale est essentielle pour une régulation de l’IA capable d’établir des normes à grande échelle.
Finalement, il est nécessaire de renforcer les formations en matière d’IA afin de les rendre attractives. Cela pourrait impliquer des initiatives pour promouvoir des programmes dédiés dans les écoles et les universités, tout comme des mesures de financement ou d’incitations fiscales pour les entreprises qui embauchent des experts en IA.
>> Pour aller plus loin, retrouvez l’intervention de Mouna Sepehri dans les Echos sur la polarisation de la société et ses implications pour les dirigeants et la Green Tech porte l’image de la France.
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