Un an d’attente, et toujours rien. Lassés de voir leur proposition de loi contre la fast fashion prendre la poussière, des militants ont décidé de répondre par un geste aussi visuel que symbolique : inonder le Sénat de vêtements abandonnés.
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Un monticule textile pour secouer le Sénat
Dix tonnes de déchets textiles, empilés en plein Paris, juste devant le Sénat. C’est le coup d’éclat organisé ce vendredi 14 mars par le collectif Stop Fast Fashion pour dénoncer l’inertie politique sur un sujet brûlant.
Des sacs noirs et jaunes amassés contre les grilles du Jardin du Luxembourg, un mannequin coiffé d’une pancarte « Non à la fast fashion » trônant au sommet du tas… Le message est clair : la mode jetable nous engloutit.
« L’inertie autour de cette loi est incompréhensible alors que la majorité des acteurs politiques et industriels reconnaissent la nécessité de réguler le secteur », déplore le collectif dans un communiqué, apprend-on.
Une loi enterrée par le Sénat ?
Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en mars 2024, la proposition de loi anti fast fashion devait ensuite passer entre les mains des sénateurs. Problème : un an plus tard, le texte n’a toujours pas été mis à l’ordre du jour.
Pourquoi ce blocage ? Les associations pointent du doigt l’influence des lobbies du textile.
Il faut dire que la loi prévoit des mesures qui ne plaisent pas à tout le monde : un malus écologique pouvant atteindre 50 % du prix de vente des vêtements les plus polluants, et l’interdiction de la publicité pour la fast fashion, à l’image de la loi Evin sur l’alcool.
« Cette loi dérange surtout les plus gros : Shein, Zara, H&M, Primark… Toutes ces marques qui produisent à l’autre bout du monde. Aujourd’hui, elles peuvent faire ce qu’elles veulent », explique Pierre Condamine, des Amis de la Terre.
Des actions partout en France contre la fast fashion
La mobilisation ne s’est pas arrêtée aux portes du Sénat. Partout en France, des collectifs locaux ont organisé des actions similaires. À Dijon, une vingtaine de militants ont tracté et appelé à signer un courrier adressé aux sénateurs pour inscrire la loi à l’agenda.
Sur Périgueux, une tonne de vêtements a été déversée sur les allées Tourny. À Valence, un collectif a mené une action en plein centre-ville.
Le message est le même partout : il est urgent d’agir.
La consommation de vêtements en France ne cesse d’exploser, avec une moyenne de 40 pièces achetées par personne chaque année. Et ce boom a un coût social et écologique colossal.
Une industrie ultra-polluante et inhumaine
Derrière la fast fashion, il y a des conséquences bien réelles. Elles sont environnementales. La mode est l’une des industries les plus polluantes au monde. Production intensive, transport international, usage massif de produits chimiques… Chaque t-shirt bon marché cache donc une empreinte carbone démentielle.
Et elles sont humaines. Beaucoup de ces vêtements sont alors produits en Asie, dans des conditions souvent indignes. Avec un salaire de misère (90 euros au Bangladesh, alors que le minimum vital serait de 180 euros), heures supplémentaires à rallonge, absence de sécurité…
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Un modèle de surconsommation et de gaspillage mondial
La fast fashion repose sur un modèle de surproduction effréné. Chaque année, ce sont 92 millions de tonnes de déchets textiles qui sont générés à l’échelle mondiale. Une quantité sidérante, alimentée par des collections renouvelées en permanence, certaines marques allant jusqu’à proposer 52 nouvelles collections par an.
Ce phénomène entraîne aussi une pollution massive de l’eau. La teinture et le traitement des tissus représentent 20 % de la pollution industrielle des eaux dans le monde.
Sans parler de la consommation astronomique d’eau : 7 500 litres sont donc nécessaires pour produire un seul jean, soit l’équivalent de 10 ans d’eau potable pour une personne.
Mais ces déchets ne disparaissent pas comme par magie. Une grande partie finit dans des pays en développement, où les montagnes de vêtements usagés s’accumulent sur les décharges à ciel ouvert.
Comme le montre le documentaire de Slash, ces vêtements jetés en masse par les pays riches inondent les marchés de pays comme le Ghana ou le Chili, créant d’immenses décharges de textile visibles depuis l’espace.
Des vêtements que nous croyons recyclés finissent ainsi brûlés à l’air libre, rejetant des toxines dans l’atmosphère, ou s’entassent dans des rivières, polluant l’eau potable et les sols. Cette face cachée du gaspillage textile prouve donc que la fast fashion ne se contente pas de polluer là où elle est produite, mais aussi là où elle finit donc.
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Une concurrence déloyale qui fausse la perception des prix
Un autre effet pervers de la fast fashion est son impact sur la perception du prix des vêtements. Avec des t-shirts vendus à 5 euros, des robes à moins de 10 euros, les consommateurs finissent donc par croire que ces tarifs sont normaux.
Mais un vêtement à ce prix, c’est une aberration économique et sociale.
Derrière ces prix cassés, il y a des coûts cachés : des travailleurs sous-payés, une qualité médiocre qui pousse à racheter sans cesse, et une industrie textile locale qui ne peut pas rivaliser. Les marques éthiques, qui respectent les conditions de travail et utilisent des matériaux durables, se retrouvent pénalisées, car elles ne peuvent donc pas s’aligner sur ces tarifs.
Résultat : des artisans, des petits fabricants et même certaines grandes marques de qualité disparaissent, incapables donc de suivre le rythme d’une industrie où le profit passe avant toute considération éthique ou écologique.
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